« Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. » (Mt 17,2-3).
Témoin de ce spectacle, Pierre, en homme qu’il était, eut des pensées humaines. Il dit : « Seigneur, il nous est bon d’être ici ! » Las de vivre au milieu de la foule, il avait trouvé la solitude sur la montagne, où son âme se nourrissait du Christ. Pourquoi quitter ce lieu pour aller vers les fatigues et les peines, puisqu’il brûlait pour Dieu d’un saint amour et, par le fait même, sanctifiait sa vie ? Il voulait ce bonheur pour lui, si bien qu’il ajouta : « Si tu le veux, faisons ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie. » (Mt 17,4)
Le Seigneur ne répondit rien à cela, et pourtant Pierre obtint une réponse. En effet, tandis qu’il parlait, une nuée lumineuse apparut et les couvrit de son ombre. Pierre désirait trois tentes : la réponse venue du ciel montra que nous n’en avons qu’une, que l’esprit humain voulait pourtant diviser. Le Verbe de Dieu est le Christ, le Verbe de Dieu est dans la Loi, le Verbe de Dieu est dans les Prophètes. Pourquoi, Pierre, cherches-tu à le diviser ? Tu devrais plutôt unir. Tu demandes trois tentes : comprends qu’il n’y en a qu’une.
Au moment donc où la nuée les enveloppa tous, et forma pour ainsi dire une seule tente au-dessus d’eux, une voix en sortit et ils entendirent ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. »
Moïse était là, Élie aussi était là, mais la voix ne dit point : « Ceux-ci sont mes fils bien-aimés. » Car autre chose est d’être le Fils unique ; autre chose, des enfants adoptifs. Celui que la voix révélait est celui dont la Loi et les Prophètes se glorifiaient. « Celui-ci, disait-elle, est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le. » (Mt 17,5) Car vous l’avez écouté dans les Prophètes, vous l’avez écouté dans la Loi, et où ne l’avez-vous pas entendu ? À ces mots, les disciples tombèrent à terre.
Ceci nous fait déjà comprendre que le Royaume de Dieu est présent dans l’Église. Le Seigneur était là, la Loi et les Prophètes étaient là. Mais le Seigneur y était comme Seigneur. La Loi était représentée par Moïse, la Prophétie par Élie. Mais tous deux se trouvaient là comme serviteurs et ministres. Ils étaient comme des récipients, le Seigneur comme la source. Moïse et les Prophètes parlaient et écrivaient, mais c’était lui qui les remplissait des paroles qu’ils répandaient.
Alors le Seigneur tendit la main et remit ses disciples debout. Puis « ils ne virent plus que Jésus seul. » (Mt 17,8) En tombant à terre, les Apôtres symbolisent notre mort, car il a été dit à la chair : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » (Gn 3,19) Mais, en les relevant, le Seigneur symbolise la résurrection. Et, après la résurrection, à quoi te sert la Loi ? A quoi te sert la Prophétie ? Dès lors Élie disparaît, et Moïse disparaît. Ce qui te reste, c’est : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. » (Jn 1,1) Le Verbe te reste « pour que Dieu soit tout en tous. » (1Co 15, 28)
Descends, Pierre. Tu désirais te reposer sur la montagne. Voici que le Seigneur lui-même te dit : « Descends pour peiner et servir en ce monde, pour être méprisé et crucifié en ce monde. » La vie est descendue pour être mise à mort, le pain est descendu pour endurer la faim, la voie est descendue pour se fatiguer sur le chemin, la source est descendue pour endurer la soif, et toi, tu refuses de souffrir ? Ne cherche pas ton profit. Pratique la charité, annonce la vérité. Tu parviendras alors à l’immortalité, et, avec elle, tu trouveras la paix.
Homélie de saint Augustin (354-430), Sermon 78, 2-6 ; PL 38, 490-493.