Les enfants qui se préparent à la première communion font parfois une étrange découverte. Lorsqu’ils apprennent le geste nouveau qui leur permettra de bien communier, ils goûtent pour la première fois une hostie non consacrée. Il n’est pas rare d’entendre alors, l’un ou l’autre, s’exclamer ébahi : « Mais ça n’a pas de goût ! ». Les plus grands l’ont peut-être oublié. Pour eux la force de l’habitude a fait son œuvre.
Le constat est pourtant surprenant. « Le Pain vivant, le Pain de vie » n’a pas de goût. « Le pain des anges » qui donne part au « repas des noces de l’Agneau » est sans saveur. « Le pain des hommes en route, le vrai pain des enfants de Dieu » est une nourriture fade. Cela est si vrai que l’étonnement des plus petits était déjà celui du théologien en adoration devant la blanche hostie. Avec saint Thomas d’Aquin nous le chantons à la fin de nos adorations eucharistiques : Tantum ergo sacramentum […] sensuum defectui – « Devant un tel sacrement […] les sens font défauts. »
La première communion de nos enfants est l’occasion de raviver en nous l’étonnement premier de l’enfance pour vivifier notre goût de Dieu. Si, comme l’Église l’enseigne, l’Eucharistie est la source et le sommet de toute la vie chrétienne, l’absence de goût de l’hostie doit pouvoir signifier quelque chose pour chacune de nos vies quotidiennes et pour la vie du monde. Si l’hostie est sans saveur c’est peut-être pour nous permettre ne jamais oublier un autre goût, celui de Dieu : le goût de croire, de désirer et d’aimer Dieu afin d’infuser dans le monde la foi, l’espérance et la charité.
L’absence de goût de l’hostie est d’abord comme un signe donné pour raviver en nous le goût de croire en Dieu. Nos sens et notre intelligence sont incapables de saisir, par eux-mêmes, sous les apparences du pain de l’Eucharistie la présence réelle de Dieu. La foi ne va pas de soi, elle est un don de Dieu à recevoir et à cultiver. Grâce à la vertu de foi nous voyons ce qui est invisible, nous connaissons cette réalité que l’on ne voit pas et qui nous fait vivre : la présence réelle de Dieu dans le monde. Si l’hostie n’a pas de goût, c’est peut-être pour nous rappeler cela : la foi est un don de Dieu que nous avons à faire fructifier afin qu’elle ne s’affadisse pas. Comment ? En nourrissant abondamment nos intelligences par une fréquentation assidue de la Parole de Dieu.
L’absence de goût de l’hostie est ensuite comme un signe donné pour raviver en nous le goût de désirer Dieu. Non seulement Dieu nous donne de le connaitre par la vertu de foi, mais il nous donne encore dans l’espérance de posséder déjà réellement la vie qu’il nous promet en plénitude au ciel. L’Eucharistie est réellement un banquet céleste parce qu’elle donne de partager ici-bas ce qui fera parfaitement notre joie dans l’éternité. Si l’hostie n’a pas de goût, c’est peut-être pour nous rappeler que la vertu d’espérance découvre notre ici-bas comme un ici-haut. Quelques soient les difficultés de nos vies, la multitude des joies très concrètes du quotidien sont réellement des avant-goûts du ciel. Elles nourrissent notre désir de Dieu.
L’absence de goût de l’hostie est enfin comme un signe donné pour raviver en nous le goût d’aimer Dieu. Aimer Dieu par-dessus toute chose pour Lui-même, et notre prochain comme nous-mêmes pour l’amour de Dieu, telle est la vertu de charité. L’Eucharistie est le Saint Sacrifice parce qu’elle actualise l’unique sacrifice du Christ et qu’elle inclut l’offrande de l’Église. Si l’hostie n’a pas de goût, c’est peut-être pour nous rappeler que la vertu de charité donne de communier pleinement avec Dieu dans l’offrande de nos vies pour la vie du monde. L’Eucharistie nous presse d’aimer en acte et en vérité. La charité véritable unit intimement les hommes à Dieu et les hommes entre eux. Elle est le sel qui donne au monde son goût véritable.
Si l’hostie est sans goût c’est probablement pour nous rappeler que la fadeur ou l’amertume du monde n’est pas une fatalité. Il nous appartient, nourrit par l’Eucharistie, de lui rendre du goût par une foi ferme, une espérance joyeuse et une charité efficace. Nourris du « pain de la vie » nous seront vraiment « le sel de la terre ».
Abbé Jean Arfeux +